lundi 21 septembre 2015

Otages intimes de Jeanne Benameur



Date de parution : août 2015 chez Actes Sud
Nombre de pages : 176

Comment ré-apprivoiser une vie volée qui vous échappe totalement

Magnifique!!!

Jeanne Benameur nous raconte la vie d'un otage. On ne sait pas dans quel pays en guerre il a été enlevé ni combien de temps il est resté captif mais peu importe...

Défilent l'enlèvement lors d'un reportage d'Etienne, photographe de guerre, l'enfermement, le confinement, la sensation de n'être qu'un objet, les techniques de survie, la libération, le retour au pays, le difficile chemin du retour à la vie...
Le moment où il retrouve sa mère au pied de l'avion qui le ramène en France est sublimement décrit.
Etienne éprouve le besoin de retrouver ses racines en retournant dans le village de son enfance dans la maison maternelle pour essayer de retrouver un peu de paix, de comprendre et d'entamer un lent travail de reconstruction... "Comment passe-t-on du sauvage de toutes les enfances à la barbarie? Quand franchit-on le seuil de l'inhumain? Ceux qui ont tué, violé, massacré, par quoi leur pensée d'homme était elle prise en otage ? "
Cette libération n'est pas pour autant la fin de l’enfermement... Les murs, les menaces ont disparu mais ce dont il a été témoin ne s’efface pas.

On mesure l'impuissance de sa mère, "Elle a perdu le pouvoir de sa voix, le soir, pour l'endormir. Comment berce-t-on un homme qui a derrière les paupières toutes les atrocités ?" qui fait écho à l'impuissance qu'il a si souvent ressenti après avoir photographié des corps lors de ses reportages de guerre.
On comprend l'appel à partir qu'il ressentait, comme son père ressentait l'appel du large.
Les personnages qui gravitent autour d'Etienne sont tous très justes : Irène sa mère, ancienne institutrice dont le mari a disparu en mer, Emma, son ancienne compagne, qui n'a pas pu se résoudre à vivre l'attente, Enzo et Jofranka ses amis d'enfance. Enzo n’a pas quitté le village. Entre deux vols de parapente, il travaille en silence le bois dans son atelier d’ébéniste. Jofranka est avocate spécialisée dans la défense des femmes des pays en guerre, elle tente de libérer leur parole, de permettre leur témoignage contre les crimes de guerre auprès du Tribunal de La Haye.
Chacun d'eux va s'interroger  sur ce qui fait de chacun d'eux des otages intimes.

C'est un récit profondément humain qui nous interroge sur le sens de la vie et sur nos façons de voir et vivre le monde sans donner de leçon.
Il y a beaucoup de justesse et de finesse dans l'expression des ressentis, des sentiments.
On est porté par une magnifique écriture de la première à la dernière ligne, concise, précise et forte.
On se laisse porter par le rythme, par les images...
J'ai découvert, avec ce livre, l'écriture de Jeanne Bénameur, empreinte d'humanité, élégante, juste et parsemée de nombreuses phrases sublimes. Il est de ces textes qui laissent des traces tant la grâce est présente...



Citations
"Maintenant il a vécu ce qu'était : ne compter pour rien. Devenir juste une monnaie d'échange entre deux mondes, pendant des mois cela a été sa seule utilité. Il a compris dans sa chair. C'est cela pour des peuples entiers. Il ne pourra jamais oublier."

"Dès que je serai libéré d'ici, je te fais la promesse que je prendrai le temps de regarder la lumière arriver sur le grand pré le matin, le temps de marcher jusqu'où je pourrai, le temps d'écouter l'eau du petit torrent,le temps."


9ème contribution au Challenge 1% Rentrée Littéraire 2015. 1% atteint!

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